Héloïse Granville " Yves Sans Logement "

Item

Title
Héloïse Granville " Yves Sans Logement "
Description
L’image choisie en vue de réaliser son analyse est une affiche comprenant une photographie contemporaine, rectangulaire et à dominante de couleurs sombres, dans des tons assez froids. La mise au point est faite au premier plan, sur une personne pieds nus, assise au sol et au visage dissimulé sous une capuche, qu’il n’est donc pas possible d’identifier. Il peut cependant être déduit du contexte que cette personne est sans-abri. Le décor alentour est délibérément flou. Cette personne, au centre, attire immédiatement l’œil du spectateur, également conduit vers le cœur de l’image par l’usage d’un élément linguistique : l’inscription centrale « Yves Sans Logement » en capitales et en gros caractères blancs.
A comme étudiant
Héloïse Granville
A comme question
1 - Justification du caractère trompeur de l'image
2 - Analyse syntaxique
3 - Analyse sémantique
4 - Analyse pragmatique
5 - Pourquoi et en quoi cette image est-elle trompeuse ?
6 - Raisons de ce choix
7 - Conclusion
8 - Bilan
A comme réponse
1 - L'image a, dans un premier temps, vocation à tromper son spectateur par le biais des signes linguistiques utilisés. Ce-dernier est en effet d’abord attiré, par le biais du slogan « Yves Sans Logement » par une énième publicité, semblable à toutes celles des marques de luxe que l’on peut croiser dans la rue ou les transports, avant dans un deuxième temps d’être choqué par ce qui y figure réellement. Pendant cette première phase, nous pouvons légitimement dire que les attentes du spectateur sont trompées. Dans une troisième et dernière phase, le regard est porté vers la légende en bas de l’image « Ayons l’élégance d’aider ceux qui n’ont rien ». Cet ensemble de signes ne peut dès lors que susciter l’émotion et l’empathie du spectateur.
2 - Au plan technique, cette photographie réalisée au format paysage en extérieur semble avoir été capturée avec un appareil photo professionnel, au vu de la qualité de l’image qui est excellente, avec notamment des différences contrastées de mises au point. Elle a été prise à hauteur de la personne photographiée, autrement dit, à hauteur du sol, probablement par une personne accroupie. On ne voit pas le ciel. La photographie est prise de près, sans usage du zoom, et le cadrage est exclusivement axé sur la personne assise au sol.
Au plan linguistique, force est de constater la présence de beaucoup de texte en français sur l’image. On trouve en effet d’abord le gros titre « Yves Sans Logement » en lettres capitales, épaisses et blanches, dans une police librement inspirée d’une grande marque de luxe dont le nom est étonnamment similaire à l’intitulé de la photographie étudiée. Cet élément linguistique représente quasiment la totalité du tiers central de l’image. Cela illustre sans nul doute qu’il s’agit d’un élément déterminant de l’affiche, voire de sa clé de compréhension. Ensuite, une légende plus discrète et de taille plus petite est apposée en bas de la photographie : « Ayons l’élégance d’aider ceux qui n’ont rien », elle aussi en capitales blanches. Enfin, comme une signature, le nom et logo de l’association ayant réalisé cette affiche se trouve en bas à droite : « Aurore Association ». Le choix de la couleur blanche pour les textes réalise un contraste marquant entre ces derniers qui apparaissent éclatants et le reste des couleurs de l’image, majoritairement ternes et moroses.
Au plan iconique, il y a un contraste marqué entre flou en arrière-plan et netteté au premier plan. Il peut même être précisé que le flou s’intensifie au fur et à mesure que l’œil se dirige vers la profondeur de l’image, ce qui peut conduire à distinguer deuxième et troisième plans. Tout d’abord, nous pouvons globalement voir en arrière-plan un paysage urbain européen composé d’un trottoir bordé de voitures stationnées. Ce trottoir occupe la majorité de la photographie, il est le lieu de l’action. Un passant, de dos, marche au loin et s’enfonce dans les profondeurs de l’image. Au premier-plan, une personne, élément principal de la photographie, est assise sur un fin carton, au sol. Elle porte des vêtements chauds et possède une couverture polaire que l’on devine ancienne, ce qui évoque de basses températures et la saison de l’hiver. Elle porte la capuche de son sweat sur la tête, qui est basculée vers l’avant, comme si elle regardait le sol ou dormait. Paradoxalement, cette personne ne porte pas de chaussures, ce qui contraste avec le reste de sa tenue, ayant pourtant vocation à la protéger du froid. Derrière le carton, nous pouvons apercevoir un morceau de couverture de survie.
Au plan plastique, l’angle de prise de vue est latéral par rapport à la personne photographiée, qui est prise dans son entièreté avec une prise de vue horizontale, qui donne une impression de panorama et élargit le champ de vision du spectateur à toute la largeur du trottoir. Le spectateur est alors invité dans l’image, notamment de par la proximité avec la personne photographiée, permis par le choix du cadrage en plan rapproché. Cela donne alors l’impression d’être face au spectacle de cette personne à la rue, et le spectateur est en quelques sortes mis ‘au pied du mur’, sans possibilité de détourner les yeux de cette réalité. L’image va du plus proche de l’objectif au plus loin dans la continuité d’une ligne directrice matérialisée par le trottoir et qui donne de la profondeur à la photographie. Cela est notamment renforcé par la figure du piéton qui, complètement flou et de dos, s’éloigne vers le fond de l’image.
Les couleurs présentes sur l’image sont le gris, le noir, le bleu marine et le blanc. Aucune couleur vive n’est présente sur la photographie. L’élément géométrique majeur est l’axe tracé par le biais du trottoir. Cet axe démarre au premier plan, en bas de l’image, et remonte progressivement vers le centre haut de celle-ci, devenant de plus en plus étroit et flou. La silhouette du passant au loin joue presque le rôle de guide de l’œil du spectateur, qui est conduit au travers du mouvement de marche de son corps vers le fond de la photographie. La texture est celle d’une photographie publicitaire professionnelle, à vocation d’être imprimée et affichée en grand format : elle est de bonne qualité, le zoom est possible sans la dégrader. Les zones floues sont volontaires et la traduction des volontés de mise au point du photographe, qui a souhaité accentuer la netteté spécifiquement sur la personne photographiée dans son ensemble, point le plus net de l’image. L’exposition est relativement uniforme, la photographie demeure très lumineuse malgré une palette de couleurs sombres. L’inscription « Yves Sans Logement », ajoutée par la suite au montage, ressort très clairement dans le gris ambiant du texte visuel initial. La personne photographiée ne s’exprime pas, elle ne regarde pas l’objectif, l’on peut même se demander si elle a conscience d’être prise en photo. Cette photographie semble représentative de la réalité, aucune retouche de l’image en elle-même, hormis l’ajout de textes et légendes, ne saute aux yeux.
3 - Nous allons dans cette partie souligner les éléments porteurs de sens dans l’image, ainsi que leur couleur majoritaire et la symbolique qui en découle. La couleur la plus présente est le gris, décliné en plusieurs nuances (trottoir, tenue du sans-abri). Cette couleur a une connotation grave et sérieuse, elle évoque la saleté, la perte, l’ennui, la nervosité, la solitude et la dépression. La tenue de la personne photographiée, incomplète car sans chaussures, évoque une grande misère et pauvreté. La fine épaisseur de carton, comme un lit de fortune, est le seul isolant qui sépare son corps du sol même. La présence de couvertures polaire et de survie appuient l’idée de grand froid et l’urgence de se réchauffer avec les moyens du bord, qui sont en très faible nombre. La largeur du trottoir, désert hormis un piéton, renforce l’impression du spectateur que la personne photographiée est quasiment un élément du décor, qui se fond dedans, comme si c’était normal, comme si c’était là où elle devait être, au point que plus personne ne la remarque. Cela est d’autant plus accentué par le fait que son visage soit caché, comme une personne anonyme et imperceptible des autres, qui aurait perdu son individualité. Dès lors, cette photographie serait une isotopie, représentant le cours normal des choses. Pour en revenir au piéton, celui-ci est également porteur de sens : il représente, comme un dernier espoir qui disparaît, le monde entier qui se tourne le dos sans le moindre intérêt et s’éloigne de la personne sans-abri. Le quotidien de ces personnes est en effet un constat bien réel, mais qui dérange, et dont il est parfois plus facile de détourner le regard. Le choix stratégique de faire la mise au point sur cette personne et de lui donner de la visibilité sur plus de la moitié de la photographie révèle donc l’objectif de la mettre, contrairement ce qui semble l’habitude, en lumière. De plus, sa posture est aussi lourde de sens. L’inclinaison de son corps, voûté, quasiment affalé sur le sol, avec la tête pendante vers l’avant, ne peut que souligner un profond mal-être, un inconfort voire une lassitude de vivre dans ces conditions. C’est d’ailleurs un langage du corps qui existe et est repris depuis des siècles dans de nombreuses œuvres d’art comme une représentation imagée du désespoir et de la mendicité (v. en ce sens, Mendiant comptant sa recette, Alexandre-Gabriel Descamps, 1833 ; Mendiant espagnol, Jean Diffre, entre 1880 et 1921 ; entre autres).
4 - La photographie étudiée, à laquelle par la suite ont été ajoutés un titre et une légende en vue de former une affiche, a sans nul doute vocation à diffusion. Il s’agit d’une affiche visant à sensibiliser le grand public à une problématique sociale importante : le fait qu’au XXIème siècle, un trop grand nombre de personnes vit encore à la rue. Le but poursuivi est que tout le monde prenne conscience de la gravité de cette réalité connue de tous mais taboue. Cette affiche met en face des yeux de son spectateur ce qu’il voit – ou plutôt, ce qu’il ne voit plus à l’usure – au quotidien dans les rues qu’il emprunte pour aller travailler, manger, ou pour rentrer chez lui, trois choses routinières dont ces personnes sans-abri sont privées. Dans la réalité, face à cette situation concrète, la plupart des spectateurs de cette affiche auraient regardé ailleurs ou changé de trottoir, car il est plus reposant pour eux de faire l’autruche que de ne serait-ce que compatir à l’épuisement et au désarroi auxquels font face ces personnes. Afin de s’assurer que la réaction ne soit pas la même face à une photographie grand format d’un sans-abri, l’association Aurore qui en est à l’origine a pris la décision d’y ajouter un slogan imitant la typographie de la célèbre marque de luxe Yves Saint-Laurent. Par ce biais, l’attention du plus grand nombre est attirée par ce que nous croyons d’abord être une publicité de mode parmi d’autres. Ce n’est qu’après avoir véritablement posé notre regard sur l’affiche et y avoir accordé de l’intérêt que nous prenons conscience de son véritable message. Le détournement de la marque Yves Saint-Laurent permet également de nommer cette personne jusqu’à lors anonymisée : l’association l’appelle Yves Sans Logement, et lui redonne par ce biais tout en faisant passer un message, une identité. Cette affiche met donc en exergue, sans influencer le spectateur, l’importance de considérer ces personnes qui sont importantes, trop souvent ignorées et laissées pour compte. La démarche permet donc de donner au public les moyens de se construire une réflexion renseignée sur le sujet en vue de s’en faire sa propre opinion par la suite.
5 -
6 - Mon choix s’est porté sur ce texte visuel car il me semblait dénoter et sortir de l’ordinaire. Au départ, comme n’importe quel spectateur, ma curiosité a été piquée et mon attention attirée par cette image accrocheuse, que j’ai cru au départ être autre chose que ce qu’elle représentait réellement. Ce n’est qu’après m’y être attardée plus en détails que je me suis aperçue qu’il s’agissait d’une image trompeuse, au procédé intelligent et ingénieux en vue de faire passer un message percutant sur un problème majeur de notre société. C’est pour ces multiples raisons que j’ai estimé que ce texte visuel méritait amplement une analyse plus approfondie.
7 - En conclusion, le texte visuel étudié est fort et puissant. S’attendant à voir un mannequin, quelque chose de plaisant et d’artificiel, le spectateur est trompé et se retrouve finalement face à une personne bien réelle à la misère criante qui a plus que quiconque besoin de cette prise en considération et ne l’obtient pourtant que rarement. Mis de ‘force’ face à ce constat et à la réalisation de son propre égoïsme bercé par son intérêt personnel et nourri par la société consumériste actuelle, le spectateur est conduit par la main vers une remise en question. Portons-nous réellement intérêt aux choses qui comptent ? En jouant sur le contraste luxe versus misère, les auteurs de l’affiche sont parvenus à bousculer le spectateur qui, touché, ne peut que s’incliner et applaudir un tel coup de génie et peut-être, à l’avenir, regarder par lui-même ceux qui en ont besoin.
8 - L’analyse interprétative globale de l’image portée à notre étude, subdivisée en trois parties : d’abord, son analyse syntaxique au travers de ses composantes formelles, suivie de son analyse sémantique et des éléments producteurs de sens, puis de son analyse pragmatique et des interprétants sociaux et culturels qui en découlent nous a donc apporté les éléments nécessaires à la compréhension de ce qui rend véritablement cette image trompeuse, et du message qu’elle entend réellement véhiculer.
Date Created
13/12/2023 09:12:46
Identifier
1203 3484 13/12/2023 09:12:4